Entretien avec Monsieur Philipp Boulay, membre du jury.

Bonjour Monsieur Boulay. Vous êtes metteur en scène, vous dirigez une compagnie de théâtre et vous êtes en même temps pédagogue. Parmi tous les titres, lequel est prioritaire pour vous ? Pourquoi ?

Je pense que c’est metteur en scène. D’abord parce que quand on fait de la mise en scène, on travaille sur plusieurs choses en même temps. On travaille d’abord au sens de l’œuvre, de la pièce choisie. On travaille ensuite pour composer une équipe, c’est-à-dire l’équipe c’est le sténographe, l’éclairagiste, le dramaturge, différents collaborateurs et enfin la dernière chose quand on est metteur-en-scène on travaille avec des acteurs sur le plateau. Donc la mise en scène c’est assez complet. En plus, ensuite on réfléchit avec les directeurs de théâtre à quelle période on va montrer cette pièce, pourquoi on la montre ensuite, on rencontre des journalistes, on rencontre des spectateurs donc en fait la mise en scène c’est quelque chose qui est vaste et dans la mise en scène parfois il y a aussi une partie qui est un peu de la pédagogie pour faire comprendre aux acteurs et à son équipe ce qu’on cherche, donc c’est complet.
Nous savons que cela fait maintenant depuis quelques années que vous assistez en tant que jury au festival des Tevfik d’Or. Pouvez-vous nous parler de ce qui vous motive à y participer ?
Je suis toujours très curieux. Je pense que tant qu’il y a de la curiosité il y a du désir, de l’envie, il y a et de l’attention. Je pense qu’aujourd’hui, on est dans une société où on a besoin de beaucoup plus d’attention que les autres. C’est important.
On oublie d’être attentif aux autres. Cela, c’est la première raison et la seconde raison; c’est que chaque année il y a toujours eu un moment de théâtre étonnant, une pépite, un trésor. Je suis curieux et dans l’attente et j’ai besoin d’être surpris.

Nous pouvons dire que la semaine des Tevfik d’Or est une semaine riche en art, mais épuisante à la fois pour les comédiens et vous les jurys. Vous est-il arrivé d’avoir un a priori dès le début d’une pièce ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?

Non, je n’ai jamais d’a priori. Quand un travail m’est proposé, je suis dans une ouverture, je suis dans une disponibilité, dans une écoute donc c’est l’inverse d’un jugement, d’un a priori.

Comment expliquez-vous qu’un élève timide dans sa vie quotidienne puisse être totalement extraverti sur scène ? Pouvons-nous dire que c’est la magie de cet art ?

Oui, c’est ça. C’est la magie du théâtre. C’est-à-dire c’est le comme on dit souvent  « comme si ». Je vous parle comme si j’étais un roi, je vous parle comme si j’étais un esclave, je vous parle comme si j’étais un prisonnier, je vous parle comme si j’étais un héros. Donc le « comme si » au théâtre permet de découvrir des choses que l’on ignorait de soi-même.

A la fin du festival, il y a un prix qui attire en particulier l’attention des troupes, « le prix du jury ». Vous êtes trois jurys à en décider. Nous aimerions savoir sur quels critères communs vous avez un avis unanime pour délivrer ce prix ?

Alors, cela dépend des années. La question est un peu compliquée pour y répondre parce que ça dépend des situations, des années, des travaux qu’on a vus. Cela dépend de plein de différents éléments donc il n’y a pas une règle que je dirai absolument intangible. Par contre « le prix du jury » c’est vrai que, qu’il y a quelque chose dans ce prix qui témoigne d’une prise de risque. Une vraie prise de risque théâtrale. C’est insuffisant, il faut avoir beaucoup de temps pour détailler la question.

Il y a certaines troupes qui repartent sans avoir eu de prix. Pensez-vous que l’engagement et l’investissement des élèves tout au long de l’année doit être forcément récompensé par un prix ? Pourquoi ?

Je ne sais pas, je pense qu’il ne faut pas non plus accorder tant d’importance au prix. Ce n’est pas un concours, c’est un festival. Cela veut dire que ce qui est important d’abord ce sont les rencontres donc j’ai envie de dire qu’il faut mettre les prix à leurs places et ne pas leur donner tant d’importance. Moi-même, je n’ai pas toujours réussi ce que j’ai entrepris et heureusement que je ne suis pas resté sur ce moment-là. C’est comme quand on loupe un concours, on ne va pas rester déprimé pendant un an. C’est même le fait de ne pas avoir de prix qui reste encore un apprentissage, qui reste quelque chose qu’il faut recevoir de manière positive. Ce n’est pas si important de l’avoir ou ne pas l’avoir. C’est comment on se positionne surtout dans son travail par rapport au travail des autres.

Depuis des années vous assistez et encadrez des troupes de théâtre. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui voudraient continuer leur parcours professionnel sur cette voie ?

Alors, je pense qu’il faut aller beaucoup au théâtre, aller regarder comment les professionnels font le théâtre pour continuer. Il faut éduquer son regard et qu’il faut aussi une école du spectateur. C’est-à-dire comment on regarde le théâtre, comment on le voit ? Pour apprendre le théâtre ce n’est pas simplement le pratiquer, il faut beaucoup le regarder.

Elif Göcen - Işıl Aygün